[1].
Ainsi avec la rime Ma, par exemple, nous pouvons former avec les six tons, six
mots diff�rents : M�, M�, Mạ, Mả, M�, Ma.
Entendez cette phrase o� cette rime est affect�e de six tons diff�rents : "H�m
đ�m ma �ng, m� đốt đồ m� gần mả l�m hư đ�m
mạ m� ch�ng ta đ� cấy" (Le jour des fun�railles du
grand-p�re, maman a br�l� les objets rituels en papier pr�s de la tombe et a
caus� des dommages aux plants de riz que nous avions repiqu�s).
Il faut qu'on soit habitu� � ce syst�me tonique pour
pouvoir distinguer le sens de tous ces mots : M�, M�, Mạ, Mả , M�, Ma.
D'autre part, la langue vietnamienne comprend dans son
vocabulaire un grand nombre de mots homophones. Pour distinguer les homophones
entre eux comme pour distinguer les diff�rents sens d'un m�me mot, et afin
d'�viter toute �quivoque, toute m�prise de la part de l'interlocuteur, notre
langue a recours � la formation des mots compos�s.
A � partir du mot NĂM, par exemple, qui signifie ann�e - ou
cinq, on a form� deux mots compos�s :
- Năm th�ng (ann�e, mois) pour d�signer le temps,
- Năm ba (cinq, trois) pour dire : quelques.
Comme � partir du mot DẤU qui signifie : trace ou
cacher, on a form� deux mots compos�s :
- Dấu vết : trace, form� de 2 synonymes.
- Dấu diếm : cacher, form� d'un morph�me (dấu) et un
�l�ment as�mantique (diếm).
En somme, les mots compos�s occupent une place importante dans la langue vi�t-
namienne, d'autant plus que leur formation r�pond � une tendance naturelle de notre langue consistant �
respecter la sym�trie, l'harmonie, m�me dans la prose, dans le parler de chaque jour.
Ainsi au lieu de dire "gi� bấc lạnh" (le vent du nord
est froid), nous aimons dire "gi� bấc lạnh-l�ng". Le sens reste le m�me,
mais la phrase nous para�t plus cadenc�e, plus harmonieuse. A l�expression "m�a xu�n
ấm" (il fait ti�de au printemps), nous pr�f�rons la construction "m�a xu�n
ấm-�p" bien que toutes deux aient le m�me sens (l�ng, �p sont
des �l�ments as�mantiques)[2].
Souvent nous entrecroisons deux mots compos�s pour
former une sorte de distique de 4 ou 6 mots, scind� en 2 parties sym�triques,
forme que nous d�nommons "đối". Par exemple, avec ces mots compos�s
"th�ng-năm" (mois, ann�e) et "đợi-chờ"
(attendre) nous formons l'expression "th�ng đợi/ năm chờ"
(attendre des mois et des ann�es). Avec "hoa-cỏ" (fleur, herbe) et
"t�n-dại" (faner, fl�trir), on a "hoa t�n / cỏ dại"
(la nature fl�trie). Avec "ăn-n�i" (manger, parler) et "cục-
h�n" (morceau, boule) on forme "ăn một cục / n�i
một h�n" (litt�ralement = manger un morceau, dire une boule, signifie : conduite
grossi�re).
Le distique, comme vous le savez, est un couple de vers ayant un sens complet - mais
dans le distique � la mani�re vietnamienne, il faut encore et surtout une stricte sym�trie entre les deux vers,
tant au point de vue de la forme qu'� celui du fond.
Import� de Chine, ce genre litt�raire a connu une grande
expansion au Vi�tnam : il y est devenu souvent un moyen pour les lettr�s
d'exprimer leurs sentiments, leurs id�es en distique �crit sur deux bandes de
papier rouge qu'on affiche devant la porte ou dans la salle de s�jour �
l'occasion de la f�te du T�t (Nouvel an vi�tnamien) : quelquefois on s'en sert
aussi pour �prouver un interlocuteur ou pour provoquer un adversaire qui
pr�tend �tre homme de lettres.
Un �l�ve se pr�sente devant un professeur pour �tre
admis comme disciple. Le ma�tre lui propose un vers improvis� ; l'�l�ve doit
compl�ter le distique par un second vers dans un laps de temps le plus court
possible. Le ma�tre jugera l'intelligence, le talent et surtout la personnalit�
du candidat � travers ce deuxi�me vers du distique.
C'�tait par ce curieux moyen que dans l'ancien temps,
certain p�re qui avait une fille � marier, choisit son futur gendre ; un
certain mandarin accorda une audience ; un certain riche remit des �trennes �
une personne qui pr�tendait �tre lettr�e.
Au XVIIIe si�cle, le Vi�tnam �tait divis� en deux. Le
Nord �tait gouvern� par les rois L�, le Sud par les seigneurs Nguyễn. Un
lettr� du Nord vint trouver un ami qui �tait ministre du roi L� pour lui
demander de le pr�senter � la Cour. Par jalousie, le dernier refusa. Plus tard,
�migr� au Sud, le lettr� fut nomm� Premier Ministre par le seigneur
Nguyễn et quand le Sud eut vaincu le Nord, on amena devant le Premier
Ministre du Sud son ancien ami devenu prisonnier de guerre.
Le Premier Ministre improvisa alors un vers et demanda �
l'autre de compl�ter le distique : "Ai c�ng hầu ? Ai khanh tướng ?
giữa trần-ai, ai dễ biết ai ? " (Qui est comte et duc ? Qui est ministre
et g�n�ral ? Dans ce monde de poussi�re et de cendre, quels sont ceux qui peuvent
savoir la valeur d'un autre ?)
Sans aucune h�sitation, le vaincu r�pliqua dignement par
le second vers du distique qui est devenu l�gendaire : "Thế Chiến-Quốc !
Thế Xu�n-Thu ! gặp thời thế, thế th� phải
thế !" (Epoque de Chi�n-Qu�c ! Epoque de Xu�n-Thu ! (deux �poques de grande
anarchie dans l'histoire de la Chine antique), dans une pareille �poque, il faut se r�signer
car ainsi est la destin�e !).
A une interrogation, il a r�pondu par une exclamation ; les deux vers sont �trangement
sym�triques et la r�plique est modeste mais non sans fiert�.
Le Premier Ministre accorda la cl�mence � son ancien ami
: "Tu n'as commis aucune faute envers moi personnellement, mais tes
agissements sont contraires � l'enseignement de Confucius, notre Ma�tre. Il te
suffit de recevoir un certain nombre de coups de b�ton devant son autel, comme
p�nitence symbolique et tu en seras quitte".
Mais ce que personne n'arrive encore � expliquer pourquoi l'ancien ministre du
Nord mourut-il sur-le-champ apr�s avoir re�u ces petits coups de b�ton ? Est-ce que c'�tait sur l'ordre
secret du Premier Ministre qu'il fut battu � mort ? Ou par exc�s de z�le des bourreaux ?
Ou �tait-ce le condamn� lui-m�me qui mourut de chagrin et de honte ?
Il nous est rapport� une autre l�gende non moins int�ressante relative � une po�tesse
vi�tnamienne du si�cle dernier : Đo�n Thị Điểm.
Un jour alors qu'elle �tait en train de se baigner dans
la salle de bain, un de ses amis, un lettr� connu de l'�poque, vint frapper la
porte et demanda la permission d'entrer pour... soit disant l'admirer. La
po�tesse improvisa alors un vers, et demanda � son ami lettr� de compl�ter le
distique, promettant de lui ouvrir la porte s'il arrivait � fournir une bonne r�ponse.
Voici le vers de la po�tesse : "Da trắng vỗ b�-bạch".
Litt�ralement : Peau blanche tap�e (produit le son) b�-bạch (une onomatop�e imitant le bruit
produit quand on tape de sa main la cuisse nue et humide - mais b�-bạch a une autre
signification en sino-vi�tnamien, b� veut dire peau, bạch signifie blanche).
Pour qu'il soit acceptable, le 2� vers doit remplir ces conditions :
- d'abord il faut un vers de 5 mots, dont le 1er est un substantif, le 2� un adjectif, le 3�
un participe pass�, les 4� et 5� une onomatop�e,
- le 1er mot doit �tre le synonyme du 4�, et le 2� du 5�.
- tous les 5 mots doivent �tre purement vietnamiens, mais
les 4� et 5� doivent avoir leur homophone sino-vietnamien.
- les mots des deux vers doivent �tre respectivement de tons oppos�s,
- le sens des mots du 2� vers doit �tre respectivement oppos� � celui du 1er vers.
Enfin, le 2� vers doit former avec le 1er vers un distique ayant un sens complet.
Notre pauvre ami malgr� de longs efforts, n'arriva pas � trouver un second vers digne
du premier, s'avoua vaincu et s'en alla t�te basse.
Je ne sais pas si parmi vous, vi�tnamiens ou orientalistes ici pr�sents, il y aurait
quelqu'un qui peut r�pondre � la place de ce lettr�, mais jusqu'� pr�sent � ce que je sais, le c�l�bre distique
reste encore inachev�.
A part le souci de sym�trie et d'harmonie, il y a lieu
de noter que dans la langue vi�tnamienne il existe une autre tendance qui
consiste � remplacer les concepts abstraits par les images concr�tes ou par des all�gories.
Pour dire "le pays du Vi�tnam" par exemple, nous employons l'expression
"montagne, fleuve du Vietnam" (non s�ng Vi�tnam) ; au lieu de dire "suivre les
�tudes", nous disons "suivre la plume et l'encrier" (theo đ�i b�t nghi�n).
L'expression "s'occuper du riz, de l'eau" (lo cơm
nước) veut dire "s'occuper des t�ches m�nag�res" ; l'expression
"soulever les serviettes, arranger les poches" (n�ng khăn sửa t�i)
d�signe une �pouse et l'expression "l'amour couverture oreiller" (t�nh chăn
gối) signifie "l'amour conjugal" etc.
La langue vietnamienne originelle ne para�t pas organis�e pour exprimer des concepts
abstraits : par contre, elle est riche en vocables concrets qui constituent en quelque sorte des
"auxiliaires descriptifs", non pour faire des descriptions positives, mais pour repr�senter
l'abstrait, et surtout pour sugg�rer des conduites.
Peu importe d'exprimer clairement ses id�es, on d�sire avant tout, par un choc
sentimental, arriver � inviter l'interlocuteur � communiquer avec ce qu'on a senti, � saisir ce qu'on a voulu
lui dire ou plut�t ce qu'on n'a pas pu lui dire.
Chez nous, on n'impose pas ses sentiments ni ses id�es
aux autres. On les laisse libre de sentir, de comprendre et de prendre une
d�cision � leur guise. N'est�il pas l� une forme de discr�tion de notre part et
une des mani�res de t�moigner du respect � l'�gard des autres.
Quand le seigneur Trịnh, maire du Palais � la Cour
du roi L�, envoya un messager � Nguyễn Bỉnh Khi�m pour lui demander
son avis sur le coup d'�tat qu'il �tait en train de pr�parer pour usurper le
tr�ne, le sage s'abstint de r�pondre d'une mani�re explicite, mais profitant de
la visite inattendue d'un bonze du village, il s'entretint avec ce dernier devant le messager :
- Est-ce que les fid�les vous ont apport� r�guli�rement des offrandes ?
- Oui, mais ce n'est pas � moi qu'ils ont apport� des
offrandes, c'est plut�t � Bouddha, notre Ma�tre.
- Et c'est vous qui en profitez ?
- C'est vrai, c'est la tradition qui l'a voulu ainsi, soupira le bonze.
- Si par exemple, reprit Nguyễn Bỉnh Khi�m,
il n'y a plus de Bouddha � la pagode, croyez-vous que les fid�les continueront
� vous apporter des offrandes ?
- Bien s�r que non !
Fixant du regard le messager du seigneur Trịnh, le Sage lui sugg�ra :
- Eh bien ! n'est-il pas plus sage de conserver Bouddha
pour pouvoir continuer � profiter des offrandes des fid�les ?
Le dialogue a �t� rapport� au seigneur Trịnh ; ce
dernier a compris ce que Nguyễn Bỉnh Khi�m avait voulu lui
signifier, et il abandonna son projet de coup d'�tat.
J'esp�re que ces quelques anecdotes et citations vous
aident � discerner les propri�t�s distinctives de notre langue, � savoir : La
musicalit� de la phrase r�gie par la gamme hexaphone ; la tendance au rythme et
� la sym�trie ; l'importance des auxiliaires descriptifs qui est un des traits
de la po�sie ancienne; le caract�re suggestif de nos propos invitant
l'interlocuteur de deviner ce que nous voulons lui dire; enfin l'effet magique des monosyllabes
homophones qui abondent dans notre langue; deux homophones, chacun avec la m�me
force de suggestion, � la fois singuli�re et ind�finie, peuvent �veiller les
s�ries d'images les plus dissemblables.
Ces propri�t�s se retrouvent dans notre litt�rature
orale et populaire et contribuent � lui donner une forme bien particuli�re qui
la distingue des traditions orales de la plupart des langues indo-europ�ennes.
D'abord, la tendance au rythme, � la sym�trie, et la
musicalit� des mots vietnamiens ont tellement influenc� la tradition orale que
presque toutes les phrases laconiques des proverbes sont devenues la prose
rim�e et rythm�e ou pour ainsi dire des vers. Souvent un proverbe ou "tục
ngữ" est divis� en deux h�mistiches strictement sym�triques, et il y a �galement la
pr�dominance des autres rimes sur des rimes plates : le dernier mot du premier vers rime avec le premier
mot du deuxi�me vers dans les rimes fratris�es, - ou avec un autre mot � l'int�rieur du
deuxi�me vers dans les rimes batel�es. La disposition de ces rimes peut �tre
sch�matis�e comme suit [3]:
Rimes fratris�es :
1 - ............................................ a |
 |
2 - a............................................ b |
 |
3 - b............................................ c |
 |
4 - c ..............etc...................... |
Rimes batel�es :
1 - ..................................... a |
 |
2 - ............. a ...................... b |
 |
3 - ............. b ...................... c |
 |
4 - ............. c ..................... etc... |
Comme nous avons eu l'occasion de voir, si les proverbes ou "tục
ngữ" (litt�ralement : coutume - parler) sont des phrases laconiques, faciles �
retenir, c'est surtout gr�ce � leurs rimes. Elles sont fratris�es comme dans
ces exemples : "Lắm th�c / nhọc xay" ; Litt�ralement : Qui a beaucoup
de paddy aura beaucoup de peine � le d�cortiquer. Ou "Thuyền theo l�i / g�i theo
chồng" ; Litt�ralement : la barque ob�it � son
gouvernail, la femme � son mari... ou encore : "Kh�n cho người ta r�i / dại
cho người� ta thương" ; Littt�ralement : Avis�, il faut l'�tre vraiment
pour qu'on vous craigne; ignorant, il faut accepter de l'�tre pour qu'on vous tol�re.
�D'autres rimes sont batel�es et ce sont des plus nombreuses. "Ep
dầu �p mỡ / ai nỡ �p duy�n"; Litt�ralement : On peut
presser des graines ol�agineuses, mais qui aurait le c�ur de faire pression sur
les jeunes gens pour les forcer � se marier ! Ou : " Ăn cỗ đi trước,
lội nước đi sau" : Litt�ralement : Sois le premier �
arriver au festin, le dernier � traverser le gu�. Ou encore : "Một miếng giữa
l�ng, bằng m�t s�ng x� bếp" ; Litt�ralement : Un morceau �
manger au festin du village vaut mieux qu'un panier plein au coin de la cuisine.
Quelquefois, dans certains proverbes, il n'y a gu�re de rimes. Alors, c'est la sym�trie, le
rythme entre les deux parties de la phrase qui permettent de les retenir facilement : "Gi�u
điếc / sang đui"
Litt�ralement : "Le riche devient sourd/le noble devient aveugle".
Ou "No n�n bụt / đ�i ra
ma" ; Litt�ralement : Rassasi�, on devient bouddha / affam�, on devient d�mon malfaisant.
Enfin, tr�s rares sont les proverbes qui n'ont ni rime,
ni rythme,� ni sym�trie entre les parties de la phrase : "M�a ri�
trước mắt thợ" ; Litt�ralement : Il se permet
de brandir la hache devant le ma�tre b�cheron. "Kiến tha l�u đầy tổ"
; Litt�ralement : Petit � petit, la fourmi remplit sa fourmili�re de provisions.[4]
Mais on retrouve surtout la pr�dominance des rimes fratris�es et des rimes batel�es sur
les rimes plates dans un genre de notre litt�rature orale appel� "đồng
dao" ou chansons d'enfant, qui est une r�union de brides de phrases rim�es de 2 � 4 mots,
n'ayant pas n�cessairement de sens dans leur ensemble, et que les m�res vi�tnamiennes � c�t� du berceau,
apprennent � leurs jeunes enfants. Ce sont en quelque sorte leur premi�re le�on de prononciation et de
vocabulaire, dont voici un petit exemple typique :
Đ�u quạ |
Litt�ralement : |
t�te de corbeau |
Qu� giang |
" |
passer le fleuve |
Sang s�ng |
" |
traverser la rivi�re |
Trồng c�y |
" |
planter l'arbre |
Lấy quả |
" |
manger le fruit |
Nhả hột |
" |
rejeter le noyau |
Les vers n'ont que deux mots chacun, c'est facile pour l'enfant de les r�p�ter, de les
retenir. Souvent dans les veill�es, assise au milieu de ses enfants, la m�re hasarde deux mots, laissant aux
enfants le soin de continuer avec deux autres mots dont le premier rime avec le dernier mot du
vers pr�c�dent, et ainsi de suite...
Puis � mesure que l'enfant grandit, il apprendra des vers plus longs, des vers de trois
mots, pour enrichir son vocabulaire :
(c�i) k�o thợ may |
Litt�ralement : |
les ciseaux du tailleur |
c�y l�m ruộng |
" |
la charrue pour labourer� la rizi�re |
xuổng đắp bờ |
" |
la pelle pour remblayer la digue |
lờ thả c� |
" |
la nasse pour rattraper les� poissons |
n� bắn chim |
" |
l'arbal�te pour tuer les oiseaux |
Des fois l'enfant se moque gentiment de la soi-disant
tutelle, des privil�ges de l'a�n�e, mais en les acceptant tout bonnement.
chị nằm giường |
Litt�ralement : |
l'a�n�e dort dans un lit |
em nằm đất |
" |
la cadette dort par terre |
chị ăn mật |
" |
l'a�n�e mange du miel |
em liếm ve |
" |
la cadette l�che le flacon |
chị ăn ch� |
" |
l'a�n�e mange du potage sucr� |
em liếm b�t |
" |
la cadette l�che le bol |
chị ca h�t |
" |
l'a�n�e chante |
em vỗ tay |
" |
la cadette applaudit |
chị ăn m�y |
" |
l'a�n�e s'en va mendier |
em x�ch bị |
" |
la cadette en porte la besace |
chị l�m đĩ |
" |
l'a�n�e s'adonne � la prostitution |
em thu tiền |
" |
la cadette encaisse... |
Plus tard, on enseigne petit � petit les bonnes mani�res aux fillettes en tournant en
ridicule certains de leurs travers habituels. Les vers du "d�ng dao" continuent �
s'allonger :
Th�a lia, th�a lẩy |
Litt�ralement : |
Tonton, mironton ! |
Con g�i bảy nghề |
" |
la jeune fille a sept m�tiers |
Ngồi l� l� một |
" |
passer son temps � des comm�rages est le premier m�tier |
Dựa cột l� hai |
" |
s'adosser � la colonne est le deuxi�me |
Theo trai l� ba |
" |
s'�prendre des gar�ons est le troisi�me |
Ăn qu� l� bốn |
" |
toujours grignoter est� le quatri�me |
Trốn việc l� năm |
" |
esquiver le travail est le cinqui�me |
Hay nằm l� s�u |
" |
se coucher � n'importe quel moment est le sixi�me |
L�u-t�u l� bảy |
" |
parler, agir avec pr�cipitation et mal � propos est�le septi�me |
Bient�t l'enfant ouvre les yeux sur la nature, sur les travaux des champs, et commence � s'int�resser �
la vie de la communaut� :
Lạy tr�i mưa xuống |
Litt�ralement : |
j'implore le ciel pour qu'il pleuve |
Lấy nước t�i uống |
" |
pour que nous ayons de l'eau � boire |
Lấy ruộng t�i c�y |
" |
pour que nous puissions cultiver nos rizi�res |
Lấy đầy b�t cơm |
" |
pour que nous ayons nos bols pleins de riz |
Lấy rơm đun bếp |
" |
et de la paille pour le feu de notre cuisine |
Je me garderais bien de vous ennuyer en pr�sentant tous les d�tails sur les r�gles de la
versification orale et populaire, mais j'aimerais n�anmoins signaler que les vers, les phrases rim�es et
rythm�es des proverbes de toutes formes aussi bien que des chansons auront plus tard six pieds, et huit
pieds, formant un genre bien connu : le "lục b�t" (six, huit) form� des couples
de vers de six pieds et huit pieds, le dernier mot du premier vers rime avec le 6� mot du second, et dernier
mot du second rime avec de dernier mot du vers suivant (qui est un vers de 6 pieds), ainsi de suite :
1/ -- -- -- -- -- a |
2/ -- -- -- -- -- a - - b |
1/ -- -- -- -- -- b |
2/ -- -- -- -- -- b - - c etc. . |
Exemples :
Tr�u ơi ta bảo tr�u
nầy
Tr�u ra ngo�i ruộng tr�u c�y với
ta
C�y cấy vốn nghiệp n�ng gia
Tr�u đ�y ta đấy ai m�
quản c�ng
Bao giờ ngọn l�a c� b�ng
Th� c�n ngọn cỏ ngo�i
đồng tr�u ăn
Ce sch�ma nous aidera � mieux comprendre une technique
de composition bien particuli�re � notre litt�rature orale et populaire, la
technique "thể hứng" qui emploie des vers appel�s "vers
liminaires d'ornement". Ils sont l'originalit�, le charme et la po�sie de nos
proverbes et chansonnettes. Les vers que je d�nomme "vers liminaires
d'ornement" sont des vers dont le sens n'a aucun rapport avec celui des
vers principaux auxquels ils servent de pr�lude.
Les auteurs de la tradition orale vietnamienne ont une
grande pr�dilection pour cette technique "thể
hứng", soit parce qu'il n'est pas biens�ant de dire tout de
suite ce qu'on a � dire, soit pour avoir le temps de r�fl�chir, de trouver les
rimes, d'improviser les vers qui vont suivre, soit pour se donner de la
contenance, pour cr�er une bonne ambiance afin d'introduire le propos principal.
Souvent aussi on a d�j� dans la t�te le vers principal qui est un vers de huit pieds et il
suffit de trouver un vers quelconque de six pieds qui formera avec l'autre, un couple de "lục b�t".
Par exemple, une femme qui tient � exprimer un sentiment et qui a d�j�
sur ses l�vres le vers principal : "L�ng thương qu�n-tử ốm o
gầy m�n" ; Litt�ralement : (Mon) c�ur adore le "qu�n-tử"
(c'est-�-dire l'Honn�te Homme, ici d�signe son amant) et j'en suis devenue malade et amaigrie.
Il lui faut un "vers liminaire d'ornement"
ayant n'importe quel sens, � la seule condition qu'il soit termin� par la rime
O (pour rimer avec ốm-o dans le vers principal). La femme regarde alors
tout autour d'elle pour voir s'il y a une forme, un son, un spectacle qui
puisse lui donner de l'inspiration - elle fouille dans sa m�moire, dans la
multitude de "đồng dao" qu'elle a apprise depuis son enfance pour
trouver la rime appropri�e. Enfin, elle ne tarde gu�re � trouver ce vers : "Chim chuyền
bụi h�t li�-lo" ;� Litt�ralement : l'oiseau voltige de tige en tige sur les piments en gazouillant.
Comme nous le voyons, le sens de ce vers est �tranger au
sens du vers principal, mais ces mots forment avec le vers principal un couple "luc
b�t" bien int�ressant :
Chim chuyền bụi h�t
li�-lo
L�ng thương qu�n-tử
ốm-o gầy m�n
Si nous transposions cette technique dans la versification fran�aise, nous aurions, par
exemple, � trouver un "vers liminaire d'ornement" qui pr�c�de le vers principal comme celui-ci
"O ma ch�rie ! je pense � toi"
avec la seule diff�rence que nous emploierions les rimes plates au lieu
des rimes batel�es.
Quel pourrait �tre ce vers ? On peut en avoir sur-le-champ une multitude.
"Le vent murmure dans les bois,
"O ma ch�rie ! Je pense � toi !
ou
"L'oiseau gazouille sur le toit,
"O ma ch�rie ! Je pense � toi !
ou bien
� "Sur le clocher, une jolie croix,
"O ma ch�rie ! Je pense � toi !
Mais revenons � la litt�rature orale et populaire du
Vietnam et �coutons cette petite chanson dans laquelle la na�vet� du "thể
hứng" a rejoint des all�gories singuli�res et impr�cises :
Tr�n trời c� đ�m m�y
xanh
Ở giữa m�y trắng, xung quanh
m�y v�ng
Bao giờ t�i cưới được n�ng
Th� t�i mua gạch B�t-Tr�ng về
x�y
X�y giọc rồi lại x�y
ngang
X�y hồ b�n nguyệt cho n�ng
rửa ch�n
C� rửa th� rửa ch�n tay
Chớ rửa l�ng m�y chết c� ao
anh !
Litt�ralement : Bien haut dans le ciel il y a des nuages, / Ceux du
centre sont blancs et ceux qui les entourent sont jaunes./ Quand je pourrai
l'�pouser,/ j'ach�terai des briques (du village) B�t-Tr�ng pour b�tir (notre
maison)./ Je b�tirai en long et je b�tirai en large./ Je b�tirai un bassin en
forme de demi-lune pour qu'elle vienne y laver ses pieds./ "Mais � ch�rie
! tu y laveras seulement tes pieds et tes mains, /et non tes cils, (si tu le
faisais) tu tuerais mes poissons."
Les deux premiers vers de technique "thể hứng" sont des "vers liminaires
d'ornement", et les deux derniers vers forment une all�gorie �nigmatique.
Chacun l'interpr�te comme il l'entend. Mais l'interpr�tation qui me semble la
meilleure est que le jeune homme, dans ces vers, veut signifier discr�tement �
la jeune fille qu'une fois qu'elle l'aura �pous�, elle ne devra rien regretter,
concr�tement elle ne devra pas pleurer (laver ses cils), car si elle le
faisait, elle immolerait le c�ur du jeune homme (ses poissons).
On trouvera cette tendance � concr�tiser les sentiments abstraits par des images, des
all�gories et le caract�re suggestif des monosyllabes homophones qui expriment cette pudeur, cette
discr�tion propres � notre peuple.
Chez nous, dans l'ancien temps on se gardait de dire
brutalement � l'�tre aim� : "Je t'aime" ou "Je pense �
toi", de peur de choquer, de manquer d'�gard, de respect � la personne
qu'on aimait. Et pourquoi faut-il prononcer ces mots ? Il y en a tant d'autres
mani�res plus �l�gantes et d�licates pour exprimer ses sentiments !
Thuyền
về c� nhớ bến chăng ?
Bến th� một dạ
khăng khăng nhớ thuyền !
Litt�ralement : O barque ! Apr�s avoir quitt� l'embarcad�re pour
rentrer chez toi, est-ce que tu penses encore � lui ? - quant � l'embarcad�re,
il s'obstine � ne jamais t'oublier !
La jeune fille ne vous r�pondait jamais, dans l'ancien
temps bien entendu : "Je ne t'oublie jamais", mais elle dirait :
Bến ơi ! qu�n
bến sao đ�nh !
V� chưng c�ch th�c, xu�i g�nh
kh� sang !
Litt�ralement : O embarcad�re ! Comment la barque peut-elle t'oublier ?
C'est plut�t � cause des cascades, des r�cifs qu'il lui est difficile de venir (� toi).
C'est gr�ce � ce moyen discret et d�licat qu'une jeune
fille de l'ancien temps a pu poser par exemple les conditions pr�alables du
futur mariage � son pr�tendant :
R� rừng th� c�
hươu mang,
Khe suối th� c� măng giang,
Đ� dọc th� c� đ� ngang
Chợ b�a th� c� mụ b�n h�ng
Biết bao giờ
em gặp được ch�ng ?�
R� rừng th�
trả lại cho hươu mang,
Khe suối th�
trả lại cho măng giang,
Đ� dọc th�
trả lại cho đ� ngang,
Chợ b�a th�
trả lại cho mụ b�n h�ng !
Ai
m� rồi trả nấy, thiếp v�i ch�ng duy�n lại xe duy�n
Litt�ralement : (Bien entendu) puisqu'il y a des for�ts, il y a des cerfs et des chevreuils ;
puisqu'il y a des ruisseaux, il y a des pousses de bambou (sur les bords) ; puisqu'il y a des
barques qui descendent les fleuves, il y en a d'autres qui les traversent ; puisqu'il y a des march�s, il y a
des bonnes marchandes. Je me suis demand� quand je pourrai rencontrer mon amour, (alors, � ce moment)
les for�ts seront laiss�es aux cerfs et aux chevreuils, les ruisseaux aux pousses de bambou ; les barques
qui descendent les fleuves � celles qui les traversent ; les march�s aux bonnes marchandes ! Bref,
laissons � chacun ce qui est � lui : alors toi et moi, nous unirons nos destin�es.
On peut deviner sans peine ce que cette jeune fille a voulu dire. Il est naturel que dans
la vie de chaque jour, � cause des contacts, des fr�quentations d'ordre social et professionnel, il nous est
arriv� d'avoir des amourettes, des folies de jeunesse. Mais quand on arrive � rencontrer celui ou celle qui
nous est pr�destin�, et qu'on est d�cid� de se marier, il faut qu'on en finisse d�sormais avec ses anciennes
amours.
Certes, il n'est pas facile pour une jeune fille de l'ancien temps de le dire cr�ment et
explicitement - et pourtant, il fallait � tout prix qu'elle parv�nt � exiger de son pr�tendant un accord
pr�alable sur ces conditions avant de conclure le mariage !
Certains ont tent� d'expliquer que cette discr�tion, cette r�serve du langage dans la
tradition orale aussi bien que dans la vie de chaque jour, ne sont autre qu'une forme de prudence, de
r�signation, cons�quence des si�cles et de si�cles d'oppression qu'a subi le peuple vietnamien.
Je ne puis confirmer cette assertion ! Tout ce que je sais c'est que le Vi�tnamien est
ordinairement bien doux, bien accommodant et fort r�sign� dans la vie courante, mais lorsqu'il est � bout de
patience, il se r�volte brusquement, sans que personne n�en soit pr�venu.
Ainsi, lorsqu'il ne peut plus supporter l'infid�lit� et la trahison, le Vi�tnamien sort de sa
r�serve habituelle, et d�voile ses propres sentiments d'une mani�re triste et am�re, sans toutefois se laisser
emporter par la fougue aveugle de la jalousie et la haine. Ainsi, la femme vi�tnamienne dit � son ancien
amant :
L�c n�o anh bủng anh beo
?
Tay n�ng ch�n thuốc, lại đ�o
m�i chanh !
B�y giờ anh mạnh, anh l�nh,
Anh m� duy�n mới, anh đ�nh phụ em !
Litt�ralement : O� est ce moment o� tu �tais p�le et �puis�, je te
soignais en t'apportant de mes propres mains le bol de m�dicament accompagn� de
tranches de citron ? Maintenant que tu redeviens robuste et en bonne sant�, tu
t'adonnes � de nouvelles amours et tu me laisses tomber !
Et tel autre Vietnamien reproche � son infid�le :
Khi n�o em n�i v�i anh
Như rựa ch�m xuống
đất,
Như mật r�t v�o tai !
B�y giờ em đ� nghe ai,
Gặp anh gh� n�n nghi�ng vai kh�ng ch�o
!
Litt�ralement : O� est ce moment o� tu parlais avec moi comme la serpe
qui s'enfonce dans le sol, comme si tu versais du miel dans mon oreille ?
Maintenant que tu t'es donn�e � quelqu'un d'autre, lorsque tu m'as rencontr�,
tu t'es cach� le visage dans ton chapeau conique et tu t'es d�tourn�e pour ne
pas me saluer !
Les chansons et les proverbes vietnamiens de toutes
formes sont d'autre part partag�s entre deux humeurs antagonistes : La douce
m�lancolie des confidences intimes prenant comme t�moin constant la nature
fid�le et la jovialit� souvent ironique, parfois sarcastique mais d�notant
toujours une juv�nilit� ardente et �picurienne.
C'est cette fusion de tristesse et de gaiet� qui fait la
valeur litt�raire de notre tradition orale, car elle refl�te la r�alit�, la
vraie vie des humains o� il n'y a gu�re de situation purement tragique et exclusivement comique.
Dans ses confidences intimes, le Vi�tnamien s'adresse
tant�t directement � la nature qui partage ses sentiments :
�m khuya ra
đứng bờ ao,
Tr�ng c�, c� lặn ; tr�ng sao, sao mờ
!
Buồn tr�ng con nhện giăng
tơ,
Nhện ơi ! nhện hỡi !
nhện chờ mối ai ?
Buồn tr�ng ch�nh-chếch sao mai
Sao ơi ! sao hỡi ! nhớ ai sao
buồn ?
Litt�ralement : Tr�s tard dans la nuit, je m'en vais au bord de l'�tang. Je regarde les
poissons, les poissons replongent dans l'eau ; je regarde les �toiles, les �toiles p�lissent. Tristement, je
regarde l'araign�e tisser sa toile : "� araign�e ! � araign�e ! A quelle destin�e attendent tes bouts de fil ?
(c'est-�-dire des nouvelles, des messages ?)". Tristement je regarde l'Etoile du Berger se pencher (sur
l'horizon) : "� �toile ! � �toile ! A qui penses-tu tant pour �tre si m�lancolique ?".
Tant�t il �voque la nature comme t�moin, m�me comme complice, et par une certaine
analogie, il nous m�ne insensiblement � la confidence :
Đố ai qu�t sạch l�
rừng
Để ta khuy�n gi�, gi�
đừng rung c�y
Rung c�y, rung cội, rung c�nh,
Rung sao cho chuyển l�ng anh với
n�ng ?
Litt�ralement : Je d�fie quiconque arrive � balayer toutes les feuilles de la for�t, je
conseillerais alors au vent de ne plus secouer les arbres. Certes, on peut secouer les tiges, secouer les
racines, secouer les branches, mais comment peut-on arriver � secouer notre amour ?
La nature dans la litt�rature vietnamienne n'est ni indiff�rente, ni hostile. Elle est l'Amie,
la fid�le confidente toujours pr�te � s'accommoder � nos humeurs, � partager nos peines aussi bien que
nos esp�rances :
Khi vui, non nước
cũng vui,
Khi buồn, s�o thổi k�n đ�i
cũng buồn.
Litt�ralement : Quand on est joyeux, la montagne, le fleuve (qui
symbolisent la nature) le sont aussi. Mais quand on est triste, m�me les sons
des fl�tes et des trompettes n'arrivent pas � dissiper en nous la tristesse !
A c�t� de cette vague m�lancolie, on peut noter une jovialit�
na�ve et ironique : on rit pour s'amuser soi-m�me, pour amuser les autres ou
pour railler malicieusement mais sans m�chancet� aucune, les travers
individuels et ceux de la communaut�.
Et puisque "le rire est le propre de l'homme"
comme l'a dit Rabelais, la jovialit� dans notre tradition orale est pour ainsi
dire une manifestation concr�te et certaine de la vie de notre peuple.
Mais le Vietnamien rit aussi quand il est trop triste. Nguyễn C�ng Trứ,
un po�te du XIX� si�cle ne l'a-t-il pas confirm� dans ses deux c�l�bres vers :
Ng�i buồn m� tr�ch �ng
xanh,
Khi vui muốn kh�c, buồn t�nh
lại cười.
Litt�ralement : Ennuy�, je me mets � reprocher la Providence :
(Pourquoi me fait-elle) pleurer quand je suis gai, et rire quand je suis d�sol� ?
En fait, il vous arrive souvent de voir le Vi�tnamien rire � toute occasion : quand il se
f�che, il rit ; quand il doute, il rit ; quand il est embarrass�, il rit ; quand il s'avoue vaincu, il rit et m�me
devant la mort, certains arrivent aussi � rire. Mais laissons aux psychologues et aux sociologues le soin
d'expliquer ce singulier ph�nom�ne qui, souvent, a choqu�, m�me scandalis� la plupart des �trangers. Pour
le moment, occupons-nous du rire dans notre tradition orale.
D'abord, ce sont des ritournelles qu'on s'amuse � r�p�ter presque interminablement en
faisant rimer le dernier mot du dernier vers avec le dernier mot du premier vers :
1 - Kh�ng đi th� nhớ th�
thương,
2 - Hễ đi th�
mắc c�i mương c�i cầu !
3 - Kh�ng đi th� nhớ th�
sầu,
4 - Hễ đi th�
mắc c�i cầu c�i mương !
1 - Kh�ng đi th� nhớ th�
thương,
2 - Hễ đi ....
Litt�ralement : Si je ne vais pas (chez toi), j'aurai le mal d'amour ;
mais si j'y vais, je serai arr�t� par les foss�s et les ponts. Si je vais ne
pas (chez toi), je serai accabl� de tristesse ; mais si j'y vais, je serai
arr�t� par les ponts et les foss�s.
Nous rions aussi devant un semblant de na�vet� :
Con kiến m�y ở trong
nh�,
Tao đ�ng cửa lại m�y ra
lối n�o?
Con c� m�y ở dưới ao
Tao đổ nước v�o m�y
sống được chăng?
Litt�ralement : O fourmi, tu es dans la maison, je vais fermer la
porte, par quelle issue pourras-tu en sortir ? O poisson, tu es dans l'�tang, je vais y verser de l'eau,
comment arriveras-tu � survivre ?
Souvent aussi nous rions � cause d'une m�prise, d'un quiproquo :
B� gi� đi chợ
cầu Đ�ng
B�i xem một quẻ c� chồng
lợi chăng
Thầy b�i xem quẻ đo�n
rằng
Lợi th� c� lợi, m� răng kh�ng
c�n.
Litt�ralement : La vieille dame s'en va au march� de l'Est ; Elle demande au devin s'il est
avantageux (lợi) pour elle d'avoir un mari. (Comme le mot "lợi" a deux significations :
avantage et gencive) le devin a compris la question suivant le deuxi�me sens du mot
"lợi" c'est-�-dire gencive. Alors, apr�s avoir consult� l'horoscope il r�pondit � la vieille dame : "En
v�rit� je vous le dis, il y a des gencives, mais il ne vous reste plus de dents".
La liste des citations serait-elle bien longue et
ennuyeuse, car les techniques du comique sont presque pareilles dans toutes les
traditions orales : Depuis les propos grossiers, les jeux de mots jusqu'�
l'emploi des r�p�titions, des m�prises, des quiproquos, des contradictions, des
exag�rations, de l'ironie...Je voudrais simplement insister sur les caract�res
bien sp�cifiques de notre rire, de notre jovialit� dans la tradition orale.
D'abord, cette jovialit� est une forme de participation
directe du peuple vi�tnamien au maintien de la juste mesure, de l'�quilibre
moral de notre soci�t� dans l'ancien temps. Le Vi�tnamien a toujours v�n�r� les
"qu�n-tử" ou les honn�tes hommes, les lettr�s, les h�ros, les religieux.... mais il
ne manque pas de tourner en ridicule les "qu�n-tử" trop born�s et trop
scrupuleux, les lettr�s fain�ants, les faux h�ros, les religieux vivant � l'�cart de la communaut�.
Qu�n-tử l� qu�n-tử
T�u
Ăn cơm th� �t, ăn rau th�
nhiều
Litt�ralement : Est-ce un qu�n-tử ? Ce n'est qu'un qu�n-tử
� la chinoise qui mange peu de riz et beaucoup de l�gumes !
ou encore :
Qu�n-tử nhất ng�n l� qu�n-tử dại,
Qu�n-tử n�i đi n�i lại l� qu�n-
tử kh�n
Litt�ralement : Le qu�n-tử qui n'a qu'une parole est un qu�n-tu
inintelligent. Le qu�n-tử qui sait corriger ce qu'il a dit est un sage qu�n-tử.
C'est un avertissement que Confucius lui-m�me a formul�
dans un entretien avec Tử-Cống,
un de ses disciples favoris : "En dernier lieu, dit le Ma�tre, celui qui
sait tenir sa parole, qui sait se montrer r�solu dans ses activit�s, peut �tre
consid�r� � la rigueur comme un qu�n-tử,
quoiqu'il puisse devenir trop born� et trop scrupuleux..."[6]
Quant aux lettr�s, les "kẻ sĩ ", qui, dans l'ancien
temps, occupaient le premier rang devant les agriculteurs, les ouvriers et les commer�ants, �taient
aussi l'objet de raillerie de la population, si, sous pr�texte de s'adonner aux
�tudes, ils se soustrayaient aux travaux productifs :
Nhất sĩ nh� n�ng,
hết gạo chạy r�ng, nhất n�ng nh� sĩ
Litt�ralement : Au premier rang c'est le lettr�, au second l'agriculteur.
Mais quand le riz est �puis�, et qu'on doit courir le qu�mander, alors c'est
l'agriculteur qui viendra au premier rang et le lettr� au dernier.
Ai ơi chớ lấy
học tr�
D�i lưng tốn vải
ăn no lại nằm
Litt�ralement : O jeune fille, n'�pousez pas les �tudiants. Leur dos
trop long fait d�penser trop d'�toffe et apr�s avoir mang� � leur faim, ils ne font que dormir.
D'autre part, malgr� leur grande adoration des h�ros,
les Vietnamiens savent � l'occasion en distinguer les vrais des faux.
Anh h�ng l� anh h�ng
rơm,
T�i cho mồi lửa hết cơn
anh h�ng
Litt�ralement : Est-ce un h�ros ? Ce n'est qu'un h�ros de paille ! Il suffit
d'une torche pour an�antir la fougue h�ro�que.
Et, quoique Bouddha soit v�n�r� par la majorit� des Vietnamiens, le peuple n'a pas une
grande admiration pour les bonzes vivant � l'�cart de la communaut� :
Thứ nhất l� tu
tại nh�
Thứ hai tu chợ, thứ
ba tu ch�a
Litt�ralement : Le meilleur milieu pour mener une vie sainte, c'est-�-dire pour suivre la
doctrine de Bouddha afin de gagner notre salut, est notre famille ; le second est le march�, et le troisi�me
est la pagode.
En effet :
Tu đ�u cho bằng tu
nh�
Thờ cha, k�nh mẹ, ấy l� tu th�n
Litt�ralement : Rien ne vaut sa propre maison ! Pourquoi va-t-on
chercher ailleurs un endroit pour mener la vie de religieux ? V�n�rer son p�re,
respecter sa m�re, c'est la meilleure mani�re de mener une vie sainte.
M�me dans une pagode, le bonze n'arrive pas toujours �
avoir la paix dans son c�ur :
Sư dang tụng
niệm nam m�,
Thấy c� x�ch giỏ m� cua l�n
ch�a.
L�ng sư luống những mơ-
hồ
Bỏ cả kinh-kệ, t�m c�
hỏi ch�o,
Ai ngờ c� đi đ�ng n�o
Tay cầm tr�ng hạt ra v�o băn
khoăn.
Litt�ralement : Le bonze est en train de r�citer les pri�res alors
qu'une jeune fille entre dans la pagode, tenant dans ses bras une nasse pleine
de crabes. Le c�ur du bonze commence � s'embrouiller; il abandonne les pri�res
et s'en va � la recherche de la jeune fille pour la saluer. H�las, on ne sait
pas par quelle porte elle est repartie. Chapelet dans la main, le bonze ne fait
que sortir et rentrer, le c�ur fort tourment�...
En second lieu, le rire dans la plupart de nos chansons
et nos proverbes de toutes formes a pour objet "le sort de la femme"
dans la famille et dans la soci�t� : tant�t on s'oppose aux maris oppresseurs,
tant�t on raille sans m�chancet� les vieilles filles ou les gens qui se marient
trop jeunes suivant l'ancienne tradition de notre pays.
Mais auparavant, voici une nouvelle "revalorisation " des
hommes par rapport aux femmes :
Ba đồng m�t mớ
đ�n �ng,
Đem về bỏ lồng cho
kiến n� tha
Ba trăm một mụ đ�n
b�,
Đem về m� trải chiếu
hoa cho ngồi
Litt�ralement : Pour trois sap�ques, on peut acqu�rir dix mille hommes
qu'on enferme dans la cage, livr�s aux fourmis. Et trois cents sap�ques, c'est
le prix d'une femme que l'on invite � venir s'asseoir sur nos nattes fleuries !
Et dans la conversation de chaque jour, on a souvent cit� ce dicton :
Con l� nợ, vợ l� oan
gia
Litt�ralement : Nos enfants, ce sont nos anciens cr�anciers
(r�incarn�s) et notre femme, c'est notre victime (de notre vie ant�rieure) qui
vient nous demander des comptes.
En effet, dans l'ancien temps, la plupart des
Vietnamiens ont cru � la m�tempsychose : une fois mort, l'homme peut rena�tre
dans ce monde ; Il y a une transmigration sans fin des �mes d'un corps dans un
autre. Ainsi le prince Sakya Muni par exemple, avant d'atteindre le stade de
Bouddha (c'est-�-dire celui qui poss�de la V�rit�) avait pass� par plus de cinq
cents vies ant�rieures appel�es Jat�ka (litt�ralement : Naissance ; le futur
Bouddha a connu les conditions les plus diverses : il a rev�tu tour � tour les
formes animales, humaines et divines tandis qu'il accumulait d'�normes m�rites
n�cessaires pour parvenir au Supr�me Eveil). Nous autres, nous subissons les
cons�quences n�fastes des mauvaises actions que nous avons commises dans nos
existences ant�rieures ; et les m�rites de notre vie pr�sente seront r�compens�s
dans notre vie future. Les enfants �taient des personnes � qui nous �tions
d�biteurs, aussi sont-elles r�incarn�es dans notre famille pour que nous
payions notre dette en les �levant. Quant au mari et � la femme, d'apr�s cette
croyance populaire, ce sont des gens qui se sont caus� bien des malheurs dans
leur vie ant�rieure, aussi ont-ils d� rena�tre pour se marier afin de se faire
souffrir l'un, l'autre.[7]
On a pu m�me noter des vers hardis par lesquels la femme tient � prendre sa revanche :
�ng ăn chả th� b� ăn nem
Litt�ralement : (Si) monsieur mange du p�t�, madame mangera du hachis
(ce qui signifie : si le mari prend une concubine, la femme aura un amant).
Et :
Lẳng-lơ cũng
chẳng c� m�n.
Ch�nh-chuy�n cũng chẳng sơn
son để thờ.
Litt�ralement :� Si vous �tes libertine, cela ne vous usera pas; mais fid�le � son mari,
vous ne serez gu�re embaum�e pour �tre ador�e.
ou encore :
C� chồng c�ng dễ
chơi ngang !
Đẻ ra, con thiếp con ch�ng,
con ai ?
Litt�ralement : Une fois mari�e, je pourrai m'amuser � mon aise ! Si
j'accouche d'un enfant, de qui pourrait-il �tre ? De moi, de toi, de qui� ?
Souvent aussi, on taquine les vieilles filles qui n'arrivent pas � trouver un mari :
Đi đ�u m� chẳng
lấy chồng ?
Người ta lấy hết, chổng
m�ng m� g�o
G�o rằng : "Đất hỡi, tr�i
ơi !
Sao kh�ng th� bỏ cho t�i ch�t chồng ?"
�ng trời ngoảnh lại m� tr�ng :
"M�y hay k�n chọn, �ng kh�ng cho m�y."
Litt�ralement : "O� �tais-tu, pourquoi n'es-tu pas venue pour
recevoir un mari ?". Comme (les autres filles) les ont tous rafl�s, la
pauvre rel�ve sa croupe pour prier : "O terre ! O ciel ! Pourquoi ne me
donnez-vous pas un petit mari en aum�ne ?". Le Dieu du Ciel se retourne
vers elle et r�pond : "Tu es trop difficile dans ton choix, je ne t'en
donne pas !".
Puis on fait semblant de s'apitoyer sur son sort :
G�i c� chồng như g�ng
đeo cổ
G�i kh�ng chồng như phản gỗ
long đanh.
Phản long đanh anh c�n chữa
được,
G�i kh�ng chồng chạy ngược
chạy xu�i
Kh�ng chồng khổ lắm, chị em
ơi !
Litt�ralement : La femme mari�e est comme une personne qui porte une
cangue au cou. La fille qui n'a pas de mari est comparable � un lit en bois
dont les joints sont d�faits. On peut r�parer de pareil lit. Mais que peut-on
faire de ces filles qui n'ont pas de mari ? Elles passent leur temps � courir
de long en large ! O quel malheur d'�tre une fille qui n'a pas de mari !
Jadis, les gens se mariaient tr�s jeunes. Un gar�on de
neuf ou de dix ans par exemple, �pousait souvent une fille de quinze ans � dix
huit ans et r�ciproquement. Et ces drames furent l'objet de raillerie, de
moquerie dans notre tradition orale :
B�ng bồng, c�ng
chồng đi chơi,
Đi ngang qua vũng, đ�nh
rơi mất chồng
Chị em ơi ! cho t�i mượn
c�i g�u s�ng,
Để t�i t�t nước vớt
chồng t�i l�n .
Litt�ralement : Hop ! Hop ! Je porte mon mari �
califourchon sur mes �paules pour le promener. En traversant une flaque d'eau,
mon mari y est tomb�. � ch�res amies ! Pr�tez-moi un grand seau pour que je
puise l'eau afin de rep�cher mon mari.
ou bien :
Lấy chồng từ
thủa mười lăm
Chồng ch� c�n b� kh�ng nằm c�ng
t�i.
Đến năm mười t�m,
đ�i mươi
T�i nằm dưới đất
chồng l�i l�n giường
Một rằng thương, hai
rằng thương,
C� bốn ch�n giường g�y
một c�n ba.
Ai về nhắn với mẹ
cha,
Chồng t�i nay đ� giao h�a c�ng t�i .
Litt�ralement : J'ai �t� mari�e � l'�ge de quinze ans. Mon mari me
trouva alors trop jeune et ne se coucha pas avec moi. Mais depuis que j'atteins
mes dix huit, vingt ans, quand je dors par terre, mon mari m'entra�ne dans son
lit et ne cesse de me r�p�ter : "Comme je t'aime ! Comme je t'aime", � tel point que les quatre
pieds de notre lit, un s'est d�j� cass�, et il n'en reste que trois. � vous qui aurez l'occasion de rentrer dans
notre village, vous direz � mes parents que maintenant mon mari et moi, nous nous entendons
tr�s bien.
*
Mon expos� sera incomplet si j'omets de pr�senter les
contes et les l�gendes qui constituent un genre particulier de la tradition orale.
En effet, il convient de rappeler que la litt�rature
orale et populaire du Vietnam peut �tre � la rigueur divis�e en trois genres distincts :
- les "tục ngữ" ou
proverbes, compos�s de phrases laconiques, rim�es et rythm�es et de forme immuable constituant en
quelque sorte la voix de la raison.
- les "ca dao, đồng
dao"... ou chansons, compos�s de vers plus longs, aussi de forme immuable, constituant pour
ainsi dire la voix du c�ur !
- et les "chuyện
cổ-t�ch" ou contes, l�gendes, compos�s de r�cits en prose
souvent imaginaires, n'ayant pas de formes particuli�res : quoique chacune des
histoires reste presque la m�me, chaque conteur la pr�sente � sa mani�re, avec
un style qui lui est propre. C'est en quelque sorte une �vasion donnant libre
cours � l'imagination.
Mais d'abord, les contes que la masse populaire aime le
plus sont sans doute les "tiếu-l�m"
ou conte � rire. Ce sont des r�cits comiques sur les tours de farces
grotesques, des ruses malicieuses, des plaisanteries parfois mordantes et
satiriques s'adressant � certaines classes de la soci�t� pour d�peindre leurs
travers, leurs d�fauts : autorit� trop absolue des seigneurs, des mandarins,
cupidit� des bourgeois, niaiserie des maris, p�ch�s des bonzes manquant � leur discipline...
Les h�ros bien connus dans les 'tiếu-l�m", - les plus rus�s, mais mauvais plaisants et
peu scrupuleux �taient Ba Giai (Monsieur Giai), T� Xuất (le bachelier
Xuất) et Trạng-Quỳnh (le docteur Quỳnh). Leurs
l�gendaires exploits �taient fort go�t�s, non seulement par des gens du peuple
mais aussi par les lettr�s de l'ancien temps.
Le seigneur Trịnh avait un beau chat. Trang Quynh
d�cida de le voler pour s'emparer du collier en or que l'animal portait � son
cou. Il l'enferma dans sa chambre ; � l'heure du repas, il pla�a c�te � c�te
deux assiettes, l'une contenant des poissons et de la viande, l'autre du riz et
des l�gumes. Chaque fois que le chat allait vers la premi�re assiette, il le
frappait brutalement. Au bout d'un mois de dressage, le chat allait
spontan�ment vers l'assiette de riz et de l�gumes m�me s'il n'avait plus �
craindre d'�tre battu.
Un jour, Trang Quynh promena son chat pour le faire voir
aux eunuques du seigneur. Celui-ci le fit venir avec le chat pour le sommer de lui rendre l'animal.
- C'est bien mon chat et non le v�tre, dit Trạng
Quỳnh. Il y a d'ailleurs un moyen de savoir � qui appartient ce chat.
Daignez faire apporter deux assiettes, l'une contenant des mets de la cuisine
du palais, l'autre du riz et des l�gumes de ma pauvre cabane. Si le chat va �
la premi�re assiette, c'est qu'il appartient � Votre Altesse, et s'il va � la
seconde, c'est qu'il est bien le chat de votre humble sujet.
L'�preuve, comme vous pensez bien, aboutit � la
confusion du seigneur. Trạng Quỳnh emporta le chat et rentra chez
lui en c�l�brant la haute clairvoyance du seigneur.[8]
Une autre fois, pour jouer un mauvais tour au chef des eunuques
du palais du seigneur Trịnh qui avait un coq de combat c�l�bre,
Trạng Quỳnh fit propager le bruit qu'il avait, lui aussi, un coq de
combat redoutable et invincible. Intrigu�, le chef des eunuques s'amena chez
lui pour le d�fier. Trạng Quỳnh fit semblant de se r�cuser en
disant que son coq ne valait rien, mais sur l'insistance du chef des eunuques,
il finit par accepter le pari.
Le jour venu, Quynh apporta un �norme coq castr�, que le
coq adverse, apr�s quelques coups de bec et d'ergots, fit fuir honteusement aux
�clats de rire triomphant du chef des eunuques. Alors Trạng Quỳnh
embrassa son pauvre coq gravement bless� et lui dit tristement mais non sans
malice : "Pauvre castr�, tu n'es m�me pas conscient de la propre valeur !
Tu as voulu faire le fier et voil� le r�sultat de ta vanit� !"
Le chef des eunuques s'arr�ta de rire et s'en alla sans saluer personne.
Quant au bachelier Xu�t, pour se venger d'une comm�re
acari�tre, vendeuse de v�tements qui l'avait fort mal accueilli, il s'amena un
soir � sa boutique, en grande pompe, turban � la t�te, babouches aux pieds,
port� sur un palanquin par ses amis d�guis�s en valets. Mais il portait
seulement une culotte et par-dessus une longue tunique qui cachait la nudit� de
ses jambes. Comme il faisait sombre, personne n'y pr�ta attention. Tu Xu�t
acheta un beau pantalon, le mit sur-le-champ puis s'en alla calmement sans
payer. La vendeuse le fit arr�ter. Devant les juges, T� Xu�t enleva le
pantalon, montra sa culotte et dit : "Voil� l'unique pantalon que j'ai
mis. Peut-on concevoir qu'un homme comme moi se prom�ne en pleine ville avec
une seule culotte et sans pantalon ?" On lui donna raison et il fut acquitt�.
Il faut remarquer que dans les contes comiques, on aime
� tourner en d�rision le mari niais, cr�dule et que sa femme, malgr� tous ses
efforts, ne parvient pas � rendre plus intelligent.
Un mari avait l'habitude de manger trop vite. Un jour
lui et sa femme invit�rent le chef de canton � venir d�jeuner. Pour aider son
mari � bien se conduire � table, la femme attacha une ficelle au pied de
celui-ci en recommandant : "Tu ne prendras une bouch�e que quand, de la
cuisine, je tire la ficelle". Tout se passa bien au d�but du repas, mais
une poule passa par hasard et s'accroche malencontreusement � la ficelle. Elle
l'agita tellement que le mari crut que c'�tait sa femme qui lui faisait signe
de manger plus vite... et l'incident tourna en une v�ritable sc�ne comique.
Un autre, rentrant un soir de la rizi�re, se tint dans
la cour et parla � haute voix � sa femme : "Tu vois, j'ai trouv� un moyen
intelligent qui m'�pargne la peine de porter la charrue � la maison chaque soir
et de l'apporter de nouveau � la rizi�re le lendemain : je l'ai cach�e dans la
meule de paille pr�s de la pagode". La femme lui dit : "Ne crie pas
si fort, les malfaiteurs peuvent t�entendre et viendront la voler". Le
lendemain, au retour de sa rizi�re, il fit signe � sa femme d'entrer dans la
chambre, ferma la porte de lui chuchota � l'oreille : "Maintenant que
personne ne nous entend, je peux te dire qu'on a vol� notre charrue".
Il y a dans tous les pays des contes � rire vraiment
grivois, le Vietnam ne pr�tend pas en poss�der des plus int�ressants. Je ne
commettrais point l'imprudence de les raconter devant un public de choix.
Il en est m�me pour les contes que nous racontons � nos
enfants pour les divertir, contes qui aboutissent toujours � la conclusion
�ternelle : en fin de compte, le bon est r�compens�, le malin et le mauvais sont punis.
Je voudrais ici faire un rapprochement entre deux
contes, la Cendrillon de la France et "Les s�urs Tấm C�m" du
Vi�tnam, qui ont � peu pr�s les m�mes p�rip�ties au d�but : Maltrait�e par sa
mar�tre, d�daign�e par sa demi-s�ur et confin�e dans la cuisine, Cendrillon
aussi bien que Tấm r�ussit, aid�e par une f�e, � se rendre un soir au bal
du palais royal o� elle fut remarqu�e par le prince h�ritier qui ne tarda pas �
l'�pouser, au grand d�pit de la mar�tre et de sa fille. Si le conte fran�ais
s'arr�te � cet heureux d�nouement, le conte vi�tnamien par contre, continue
avec un �pilogue plein de p�rip�ties.
"Un jour Tấm rendit visite � son p�re malade,
la mar�tre lui demanda de grimper sur un ar�quier pour cueillir des noix d'arec
afin de les lui offrir. Quand Tấm fut arriv�e au sommet de l'arbre, sa
demi-s�ur C�m coupa le tronc de l'ar�quier. Tấm tomba et fut tu�e sur le
coup. Le prince h�ritier en �prouva une grande douleur et fut inconsolable. La
mar�tre emmena C�m au palais pour la donner au prince en remplacement de
Tấm. De son c�t�, apr�s sa mort, Tấm fut r�incarn�e dans un
colibri, un joli petit oiseau, et vint se blottir tendrement dans les manches
de l'habit du prince, son mari. Celui-ci le ch�rit et le nourrit dans une cage
d'or. Un jour, profitant de l'absence du prince, C�m tua l'oiseau et le mangea.
A l'endroit o� furent jet�es les plumes du colibri, poussa un plaqueminier qui
ne porta qu'un seul fruit. Une vieille mendiante, un jour, s'arr�ta au pied de
l'arbre, demanda au fruit de tomber dans sa besace, et le fruit y tomba. Elle
le ramena � sa maison et le cacha dans sa chambre. De ce fruit sortit une belle
jeune fille qui n'�tait autre que Tấm. Et la mendiante l�adopta.
Tấm demanda � la vieille femme d'aller inviter le prince. Celui-ci se
moqua de la mendiante et exigea, pour se d�placer, que la route soit tapiss�e
de brocart, et la maison peinte en or. Ce qui fut r�alis� en un clin d'�il
gr�ce aux pri�res de Tấm aux divinit�s. Quand le prince entra dans la cabane,
il fut tout de suite intrigu� par la confection fort habile des chiques de
b�tel dont seule Tấm poss�dait la recette. Il appela Tấm qui sortit
aussit�t de sa cachette. Le prince la ramena au palais, et les m�chantes,
la� mar�tre et sa fille furent punies".
Je viens de r�sumer succinctement l'�pilogue du r�cit
"Deux s�urs Tấm C�m". Mais le conte tout entier, avec ses
nombreuses p�rip�ties est beaucoup plus long. Et c'�tait dans l'atmosph�re
merveilleux de ces sortes de conte que les enfants vi�tnamiens de l'ancien
temps �taient initi�s aux premi�res notions de r�incarnation, de Karma, de
m�tempsychose, notions qu��voqueraient plus tard dans leur subconscient une
vague nostalgie des existences ant�rieures, un certain d�tachement de la vie
pr�sente, une confiance presque irraisonn�e en l'avenir. Les Vietnamiens
d'autrefois n'ont gu�re connu cette indescriptible frayeur devant l'�ternit�
dans laquelle ils pourraient �tre �ventuellement mais irr�vocablement condamn�s
pour quelques p�ch�s qu'ils auraient commis dans cette vie �ph�m�re. Par
contre, d'apr�s cette ancienne croyance, ils ont toute l'�ternit� devant eux
pour expier leurs fautes comme pour b�n�ficier des m�rites acquis durant
plusieurs existences ant�rieures. On ne meurt pas, la mort n'est qu'une
transition pour r�aliser la transmigration de l'�me d'un corps � un autre.
Mais, direz-vous, ces contes, ces conceptions de la vie
et de la mort ne sont-ils pas inspir�s de l'hindouisme et du bouddhisme de
l'Inde et de la Chine ? En effet, de par sa situation entre deux grandes et
anciennes civilisations, - celle de la Chine et celle de l'Inde - il est bien
naturel que le Vi�tnam en ait subi les influences les plus profondes.
Toutefois, ni l'hindouisme, ni le bouddhisme ne sauraient reconna�tre cette
croyance populaire comme orthodoxe : car si le salut des fid�les de ces
religions n��tait atteint que par leur lib�ration du cycle de r�incarnation et
par leur entr�e dans le Nirv�na, derni�re �tape de la contemplation, caract�ris�e
par l'absence de la douleur et la possession de la V�rit�, - l'esp�rance des
Vietnamiens par contre �tait de pouvoir rena�tre apr�s leur mort en une vie
qu'ils esp�raient meilleure que la pr�c�dente.
Mais nos futures vies pourraient rev�tir les formes
animales ou v�g�tales comme dans celle des Jat�ka de Sakya Muni. Ainsi, Nguyễn
C�ng Trứ, un c�l�bre lettr� du XIX� si�cle, n'a-t-il pas formul� ce v�u
bien original :
Kiếp sau xin chớ l�m
người
L�m c�y th�ng đứng giữa trời
m� reo !
Litt�ralement : Pour ma future existence, je demande � ne pas rena�tre
"homme", mais � me r�incarner en un pin pour chanter tout haut dans
les cieux.
Comme dans presque tous les pays de l'Asie du Sud-Est,
le Vi�tnam a import� de l'Inde les contes du cycle Jat�ka sur les vies
ant�rieures de Bouddha. Mais il me semble qu'il ne fait qu'emprunter le r�cit,
d'ailleurs fortement modifi� et adapt� aux coutumes et m�urs du pays pour en
tirer une conclusion qui lui est propre. Du conte indien intitul�
"Kharaputa-jataka" (7) par exemple, les versions chinoise,
laotienne et vi�tnamienne aboutissent � des d�nouements bien diff�rents qui
trahissent en quelque sorte la mentalit� de chaque peuple. Ils partent d'un
r�cit � peu pr�s semblable : Un homme se lia d'amiti� ou eut la gr�ce d'une
divinit� qui lui donna le pouvoir surnaturel de comprendre le langage des animaux
� condition d'en bien garder le secret sous peine de mort instantan�e. Il lui
arriva de rire parfois devant sa femme, car, gr�ce � ce pouvoir surnaturel il
pouvait surprendre des conversations bien dr�les entre les diff�rents animaux.
Sa femme en fut fort m�contente et le somma de lui dire la cause de son
hilarit�, en le mena�ant de se tuer. Le mari fut plac� devant un dilemme : S'il
r�v�lait la v�rit� � sa femme, il mourait instantan�ment, mais s'il ne le
faisait pas, sa femme se suiciderait, et il en mourait aussi de chagrin. Le
mari s'en alla alors dans le jardin pour r�fl�chir et il entendait une autre
conversation entre les animaux de sa basse-cour ; l'un d'eux �mit une r�flexion
que le pauvre mari trouva fort sage. Et c'est � partir de ce moment que les
trois contes chinois, laotien et vi�tnamien se diff�rencient :
Dans le conte Chinois, c'est le b�lier qui dit � une de
ses brebis : "Ce roi - car le pauvre mari dans le conte chinois �tait un
roi - est bien sot de mourir pour sa femme. Quant � moi, si tu meurs, je ne
manquerais gu�re de brebis". Le roi l'ayant entendu, fit cette r�flexion :
"Tout roi que je suis de tout un royaume, je n'atteins pas la sagesse d'un
b�lier". Il fit alors venir la reine et lui dit : "Je ne r�v�le pas
le secret de mes rires. Libre � vous de vous tuer, ce sera fort bien. J'ai dans
mon harem beaucoup d'�pouses, qu'ai-je besoin de vous ?". Et le conte chinois
se termine par une citation de la parole du Bouddha : "Le Ma�tre a dit :
Bien sot est l'homme qui veut se tuer � cause de la femme".[9]
Dans le conte laotien, c'�tait le coq qui faisait cette
r�flexion au chien : "Si notre patron avait deux ou trois femmes comme les
autres, combien de fois lui faudrait-il mourir pour les contenter ? Ah, le
pauvre homme, qui, n'ayant qu'une seule femme, n'arrive m�me pas � la dompter !
Regarde-moi, j'ai cinquante femmes dans ma basse-cour et j'ai toujours su les
ma�triser. Que les femmes respectent et �coutent leur mari !...". Le chien
lui demanda : "A ton avis, comment devrait-il agir ?" - "C'est
simple, r�pondit le coq, il n'a qu'� rosser sa femme comme il faut et elle saura se conduire plus
sagement". Gagn� par le raisonnement du Grand Coq, le laboureur� (le pauvre mari dans le
conte laotien est un laboureur) alla chercher un b�ton et donna une bonne
correction � sa femme qui capitula aussit�t.[10]
Mais dans le conte vi�tnamien, le r�cit tourne plut�t en
tragi-com�die : "Une fois en possession de la pierre merveilleuse qui lui
donnait le pouvoir surnaturel, le mari comprit le langage des oiseaux, de
fourmis, et toutes les esp�ces d'animaux. Il n'osait pas dire � sa femme qu'il poss�dait cette pierre ;� car s'il
le faisait, la pierre s'�vanouirait et il lui serait arriv� un grand malheur. Un
jour la femme alla s'accroupir dans un coin du jardin (pour uriner) le mari
entendit les fourmis crier : "Voil� une inondation, cherchons une hauteur
pour nous mettre en s�curit�". Il se mit � rire. Sa femme fut tellement
vex�e qu'elle en mourut. Le mari fut tr�s afflig� de la mort de sa femme, s'en
alla chez un ami pour essayer de se consoler�[11]
Tandis que les versions chinoise et laotienne suivent de
pr�s le conte indien, celle du Vi�tnam reprend aussi le th�me "l'homme qui
comprend langage des b�tes", non pour prouver que "bien sot est
l'homme qui veut se tuer � cause d'une femme", comme l'a dit le Ma�tre
dans le Jat�ka, mais pour retrouver une conception orthodoxe du bouddhisme :
L'existence dans l'univers d'un nombre incalculable de mondes dont fait partie
le monde terrestre des hommes. Et la disproportion inimaginable des choses, la
contradiction des situations, (infime et vulgaire dans le monde des hommes mais
grandiose et tragique dans celui des fourmis), ont provoqu� le comique au r�cit
qui ne tarde pas toutefois � terminer par un d�nouement bien triste : "La
femme fut tellement vex�e qu'elle en mourut".
C'est en quelque sorte une petite pi�ce tragi-com�die
qui, apr�s la tomb�e du rideau, nous plonge dans un �tat de r�verie plut�t
lyrique que m�taphysique ou dogmatique comme dans un Jat�ka bouddhique.
En effet, dans les temps anciens, le Vi�tnamien a
accueilli avec ferveur le Bouddhisme, comme toute autre croyance d'ailleurs
sans �tre lui-m�me v�ritablement religieux. C'est ainsi le cas pour le Tao�sme,
doctrine philosophique de l'inertie (non-action) qui a connu des d�viations
inattendues � travers notre tradition orale :
Tr�i sinh voi, sinh cỏ
Litt�ralement : Pour l'�l�phant qu'il a cr�e, le Ciel fait pousser l'herbe pour le nourrir.
Pourquoi donc nous donner trop de peine ? Il faut bien
profiter de la jeunesse, du moment pr�sent :
Ai ơi chơi lấy kẻo
gi�,
Măng mọc c� lứa, người
ta c� th�.
Chơi xu�n kẻo hết xu�n
đi,
C�i gi� sồn-sộc n� th� theo sau !
Litt�ralement : Amusez-vous avant que n'arrive la vieillesse, car comme
la pousse de bambou n'a qu'un temps, l'homme n'a qu'une saison (jeunesse). Jouissons du printemps
avant qu'il ne prenne fin et que la vieillesse ne vienne brutalement nous surprendre ![12]
Tandis que le lettr� le plus souvent acceptait
religieusement les dogmes du Confucianisme, l'homme du peuple, toujours
h�r�tique � l'�gard des doctrines impos�es par les envahisseurs, les a
interpr�t�s � sa mani�re. A la stricte discipline confuc�enne qui exige des
sujets une ob�issance aveugle :
Qu�n sử
thần tử, thần bất tử bất trung
(Quand le roi ordonne � un sujet de mourir, si celui-ci n'ob�it pas, il
montre qu'il n'est pas fid�le), la tradition orale a oppos� une r�flexion
pleine de bon sens :
L�m tr�n m� chẳng ch�nh ng�i,
Khiến n�n kẻ dưới ch�ng t�i
hỗn-h�o.
Litt�ralement : Si vous, les chefs, vous vous conduisez mal, ne soyez
pas �tonn�s que nous, les inf�rieurs, nous vous manquions de respect.[13]
Et sur le m�me plan que les dogmes rigides
"Trung" et "Hiếu" (Fid�lit� au roi, Pi�t� filiale),
l'homme du peuple a plac� un autre dogme qui lui est cher, le "T�nh"
(l'Amour entre les jeunes gens), une notion presque bannie de la doctrine du Grand Ma�tre :
Minh về ta chẳng cho
về
Ta nắm lấy �o ta đề c�u
thơ.
C�u thơ ba chữ đ�nh-r�nh
Chữ Trung, chữ Hiếu, chữ
T�nh l� ba.
Chữ Trung th� để phần cha
Chữ Hiếu phần mẹ, đ�i
ta chữ T�nh !
Litt�ralement : Tu veux rentrer ? Mais je ne te laisse pas partir. Je
saisis le pan de ta tunique pour y inscrire un vers de trois mots tr�s clairs :
Trung (Fid�lit� au roi), Hiếu (Pi�t� filiale) et T�nh (Amour entre les
jeunes gens). Le Trung, c'est pour notre p�re ; le Hiếu, pour notre m�re,
et pour nous, c'est le T�nh, le Grand Amour !
En dernier lieu on retrouve encore notre tradition orale, une grande pr�dilection pour
les probl�mes relatifs au sort des humains devant la fatalit� du destin.
Un rocher surplombant une baie et ayant la forme d'une femme par exemple, est un
pr�texte pour le peuple vi�tnamien de donner libre cours � son imagination lyrique :
Jadis, deux jeunes orphelins vivaient ensemble jusqu'au
jour o� le fr�re a�n�, dans un acc�s de col�re, frappa d'un coup de couteau la
t�te de sa jeune s�ur. Le sang coula tellement que, l'a�n� la croyait morte,
eut peur, il quitta le foyer et s'en alla se r�fugier dans une province
lointaine. Plus tard, il �pousa une belle jeune fille de son go�t. Tous deux
s'aimaient tendrement et la femme mit au monde un fort beau gar�on. Un jour,
peignant les cheveux de sa femme, le mari d�couvrit � sa nuque une grande
cicatrice. Et quand elle lui raconta ce qui s'�tait pass� dans son enfance,
l'homme s'aper�ut que son �pouse n'�tait autre que la propre s�ur. Prit de
remords, il d�cida de mettre fin � cette fausse situation. Il s'engagea alors
dans l'arm�e du seigneur Nguyễn et prit voile vers le sud. Tous les jours,
la femme, accompagn�e de son jeune enfant, venait s'asseoir sur la falaise pour
guetter le retour de son mari. Des ann�es et des ann�es ont pass�, le mari ne
revint pas. Elle a pleur� tellement qu'elle en mourut, et sa d�pouille se
transforma en un rocher que, de nos jours encore on voit surplomber une des
jolies baies du Vi�tnam du Centre.[14]
Et la chique de b�tel par exemple a �t� aussi
l'inspiration d'un drame dans lequel l'homme se voit impuissant devant les circonstances
fortuites de la vie :
Il �tait une fois deux jumeaux pr�nomm�s T�n et Lang qui
se ressemblaient tellement qu'on avait de la peine � les distinguer l'un de
l'autre. Devenus orphelins, ils vinrent suivre l'enseignement d'un ermite qui
avait une fille d'une grande beaut�. Elle plut aux deux fr�res qui se
refus�rent toutefois � rivaliser pour l'obtenir. Afin d'en avoir le c�ur net,
elle servit un repas aux deux fr�res, mais ne mit qu'un seul couvert. Selon les
convenances familiales, le cadet laissa son fr�re a�n� manger le premier. La
jeune fille reconnut ainsi l'a�n� et le prit pour �poux avec le consentement de
ses parents. A partir de ce jour, Lang, le cadet, t�moigna � sa belle-s�ur tout
le respect exig� par la tradition. Par contre, T�n, l'a�n�, passa son temps �
s'occuper de sa jolie femme et n�gligea ostensiblement son jeune fr�re. Humili�
et d�sesp�r�, ce dernier quitta le foyer sans en aviser son grand fr�re. Il �choua sur la berge d'un grand
torrent. Ne pouvant le franchir, il s'assit au bord de l'eau, et pleura tellement qu'il mourut d��puisement. Sa
d�pouille se transforma en ar�quier.
L'a�n� partit cependant � la recherche de son fr�re et,
ne le trouvant pas, se jeta dans le torrent o� il se mua en un rocher, au pied de l'ar�quier.
La femme allant � la recherche de son �poux et arrivant
au m�me endroit, tomba du rocher et mourut. A son tour, elle se m�tamorphosa en
une plante de b�tel, grimpant et s'enroulant autour du rocher. Plus tard, le
roi H�ng Vương, au cours d'un voyage, s'arr�ta au bord du torrent
pour prendre un peu de fra�cheur. Il prit une feuille de b�tel et une noix
d'arec et se mit � mastiquer, puis cracha (� cause de son go�t particulier) sur
le rocher o�, chose curieuse, le m�lange prit imm�diatement la couleur de sang.
Le roi fit chauffer un morceau du rocher pour en faire de la chaux qu'il
mastiqua avec la noix d'arec et la feuille de b�tel. Il trouva une saveur
devenant de plus en plus agr�able et parfum�e. D�s lors, il ordonna l'usage de
la chique de b�tel dans les c�r�monies de fian�ailles, de mariage et dans
toutes les grandes f�tes et le peuple y vit le symbole d'une double affection,
conjugale et fraternelle.[15]
Mais souvent aussi, dans nos contes et l�gendes, la
trag�die a pour cause l'�tourderie, la conduite insens�e des hommes :
Jadis, un mari, apr�s une longue absence, rentra chez
lui. Son jeune enfant, ne put le reconna�tre et refusa de se laisser embrasser
en disant : "Ce n'est pas toi qui es mon papa". Cette phrase l'a fort
intrigu� et il pensa que sans doute pendant son absence sa femme avait aim� un
autre homme. Le lendemain, profitant de l'absence de sa femme, il demanda �
l'enfant : "Mais qui est donc ton papa ?". L'enfant r�pondit :
"Il ne vient plus depuis que tu es l�. Il ne venait seulement qu'apr�s la
tomb�e de la nuit, restait toujours taciturne et suivait maman partout o� elle
allait sans la quitter m�me pour un petit moment". D�s lors, le mari
t�moigna � sa femme un m�pris tellement insupportable que celle-ci s'en alla se
jeter dans le fleuve.
Une nuit, apr�s la mort de sa femme, pendant que l'homme
amusa son enfant en d�signant son ombre projet�e sur le mur, l'enfant s'�cria :
"Mais c'est mon papa !". L'homme s'aper�ut alors de sa m�prise, de
l'innocence de sa femme. Mais ce fut trop tard !
Je regrette de ne pouvoir vous pr�senter un certain
nombre de contes et de romans populaires de valeur, tels que "Phạm
C�ng et C�c Hoa", "Phan Trần" (les Phan et les
Trần), Nhị độ mai (les pruniers ont refleuri),
Thạch Sanh (l'homme n� de la roche), Trinh Thử (la souris
vertueuse), Tr� C�c (histoire du silure et du crapaud), etc. par la simple
raison que ce sont des �uvres �crites par des auteurs anonymes, le sujet de mon
expos� de ce soir se limitant � une litt�rature populaire orale et non �crite.
*
Quelle conclusion pourrais-je tirer de ces citations et digressions ?
Est-ce que cette musicalit� des mots r�gis par un syst�me
variotonique, cette tendance au rythme et � la sym�trie dans la phrase, cette
puissance suggestive des homophones et des auxiliaires descriptifs, cette
communion constante avec la nature, avec r�serve et discr�tion, pourraient nous
rappeler en quelque sorte le lyrisme dans la litt�rature occidentale ?
Ou, est-ce que ce m�lange du comique, trahissant un
d�foulement � peine contenu, et du tragique, mettant sans cesse l'homme face �
son destin, pourrait �voquer le probl�me de la "condition humaine",
un des th�mes les plus en vogue de la litt�rature moderne ?
Quoi qu'il en soit, si mon modeste expos� pouvait
apporter quelques renseignements permettant de mieux conna�tre notre culture,
pour mieux comprendre et mieux aimer notre peuple, un peuple qui a tant
souffert et tant lutt� pour survivre, ce serait pour moi un des plus grands
honneurs que je puisse esp�rer.
V� Thu Tịnh
Conf�rence faite � la Maison des Ecrivains Belges
Bruxelles � Belgique , le 9 Novembre 1978
1er tirage dans PRESENCE INDOCHINOISE, No 1, Paris, 1979.
2�me tirage � part Ed. PRESENCE INDOCHINOISE, Paris, 1987.
Notes:
[1] Les auteurs, tant vietnamiens qu'�trangers,
ne sont pas d'accord sur le nombre de tons en vietnamien (six ou huit?), ainsi
que sur leur appellation courante en vi�tnamien, et nous empruntons la
terminologie de L. Cadi�re dans sa "Syntaxe de la langue vietnamienne",
terminologie qui nous para�t la traduction � peu pr�s fid�le de l'appellation
en vietnamien. " Cf. Truong Van Chinh, Structure de la langue vietnamienne,
Imprimerie nationale, Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1970, p.13.
[2] � Trương Văn Chinh, op. cit., p. 4.
[3] � Suberville, Histoire et th�orie de la versification, Paris, pp. 115-116.
[4]� Dương Đinh Khu�, La Litt�rature populaire
vietnamienne, Thanh Long, Bruxelles 1976, pp.3,13.
[5]� H�ng Minh Kim, Rimes lao et rimes vi�tnamiennes, Bulletin des Amis du
Royaume Lao, Vientiane, 1970, n��� 2, pp.114-123.
[6] � Luận-Ngữ (ch. Louen Yu) VII - 20.
[7] Ginette Terral, Choix de Jataka, Unesco, Paris 1958 � Les Jataka et la
litt�rature de l'Indochine bouddhique, France-Asie, nos 153-159, pp 483-488. Cf eglt. Finot L.,
Recherches sur la litt�rature laotienne, t.XVIII, 1917, pp 43 44.
[8] Trạng Quỳnh a ses homologues : Xieng Mieng au Laos ; Si
Thanonchai en Thailande; Thmen Chei au Cambodge.
[9] Chavannes, Cinq cents contes et apologues extraits du Tripitaka chinois,
tome I,� pp. 382-383.
[10]� Phạm-C�ng-Sửu, Quelques versions
indochinoises du Kharaputta Jataka, Bulletin des Amis du Royaume Lao,
1970, n� 2, pp. 34-46.
[11]� Nguy�n van T�, Bulletin de l'Institut indochinois, pour l'Etude de
l'Homme, 1943, t. VI, pp 333-335, Cf eglt. Landes., Contes et L�gendes annamites, Saigon
1885, pp. 68-69.
[12]�Dương-Đinh-Khu�, op. cit., p 275.
[13]� Dương-Đinh-Khu�, op. cit., p. 257.
[14]�Autre version : Le mari, pr�textant d'aller
faire du commerce dans un pays voisin, prit voile vers le sud.
[15] Cf. Th�i-Văn-Kiểm, Au pays des
N�nuphars, Canada, 1997, pp. 20-22.